Quel sort fiscal et social pour les indemnités transactionnelles ?

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Regards croisés fiscal/social

Incertitudes pesant sur le sort fiscal et social des indemnités de rupture versées par transaction.

 

Depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 20 septembre 2013, l’exonération fiscale de l’indemnité est conditionnée au caractère abusif du licenciement que l’indemnité vise à réparer. Il en va de même quelle que soit la nature de la rupture, notamment en cas de  rupture prise à l’initiative du salarié si cette rupture est requalifiée en licenciement abusif par le juge. En cas de transaction visant à clôturer amiablement le litige, le principe de l’exonération demeure envisageable, mais il faudra démontrer que l’indemnité versée est assimilée à une indemnité faisant suite à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

C’est ce qu’a décidé le juge de l’Impôt, le Conseil d’Etat, le 1er avril 2015 dans une affaire opposant l’administration fiscale et un salarié au sujet d’une transaction qu’il avait conclue en 2005 après sa prise d’acte de la rupture de son contrat de travail ; le conseil d’Etat a accepté que l’indemnité puisse être considérée comme exonérée d’Impôt sur le revenu, mais en sanctionnant la cour administrative d’appel pour ne pas avoir recherché si l’indemnité transactionnelle visait à réparer un licenciement abusif (CE 1er avril 2015 n° 365253, 9e et 10e s.-s., B).

Cette nouvelle position du Conseil d’Etat (tranchant avec sa position antérieure à la décision du Conseil Constitutionnel du 20 septembre 2013), semblerait amorcer un assouplissement de nature à favoriser le sort fiscal des indemnités versées lorsque la rupture n’est pas constatée par un licenciement (par exemple démission contestée, prise d’acte, départ volontaire en retraite).

Mais dans une décision du 29 octobre 2015, la Cour Administrative d’Appel de Nantes a « douché » les espoirs en ce sens, jugeant qu’une indemnité transactionnelle faisant suite au licenciement économique d’un salarié ne pouvait pas être exonérée d’impôt sur le revenu au motif que le salarié ne démontrait pas le caractère abusif de son licenciement.

A la lumière de la décision du Conseil Constitutionnel, le juge de l’impôt s’estime désormais investi du pouvoir de contrôler le motif réel et sérieux du licenciement, afin de juger si une rupture de contrat de travail peut ou non être qualifiée de licenciement abusif.

Plutôt que d’en résoudre, ce nouvel état du droit fiscal pose plusieurs problématiques.

AU PLAN JURIDIQUE

Tout d’abord, ce pouvoir nouveau du juge fiscal semble interférer avec celui du juge prud’homal.  En effet, aux termes de l’article L 1411-1 du code du travail, seul le Conseil des Prud’hommes est compétent pour trancher les litiges individuels entre employeur et salarié, et notamment pour juger si la rupture du contrat de travail est constitutive d’un licenciement abusif.

Néanmoins, dans les deux affaires précédentes, l’intervention du juge prud’homal avait été éclipsée par la conclusion d’une transaction, qui visait justement à éviter que le litige ne s’exporte devant la juridiction sociale ; en cas de transaction, ce dernier ne sera donc pas sollicité. La question de la double compétence ne se posera pas.

Mais, en cas de transaction, comment concilier cet acte avec l’exigence de devoir démontrer le caractère abusif de la rupture? En effet, l’objet même d’une transaction consiste à  terminer une contestation née, ou prévenir une contestation à naître (article 2044 code civil). C’est le différend entre les parties qui justifie le recours à cette forme de contrat. Le différend tient au fait que l’employeur estime justement que la rupture n’est pas abusive, mais qu’il consent à verser une indemnité afin d’éviter les aléas d’un contentieux. Comment dès lors le salarié s’y prendra-t-il pour démontrer au juge fiscal que l’indemnité versée visait justement à compenser un tel abus ?

 

AU PLAN FISCAL

Rappelons que l’article 80 duodecies du CGI exonère d’impôt sur le revenu les indemnités de licenciement (y compris transactionnelles) dans la limite de :

  1. a) Soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail, ou 50 % du montant de l’indemnité si ce seuil est supérieur, dans la limite de six fois le plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale en vigueur à la date du versement des indemnités ;
  2. b) Soit le montant de l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective de branche, par l’accord professionnel ou interprofessionnel ou, à défaut, par la loi.

Néanmoins, l’administration fiscale puis le juge de l’impôt s’autorisent désormais à effectuer un contrôle sur le fond des dossiers de rupture de contrat de travail.

Il demeure que le pouvoir du juge fiscal pour contrôler la réalité et le sérieux du motif de rupture d’un contrat de travail, supposerait qu’il ait la compétence requise et qu’il se donne les moyens d’instruire ce type d’affaires, ce dont on peut douter.

De plus, la négociation des accords transactionnels risque de se compliquer avec la question de la prise en compte des éléments de fait pour sécuriser la position fiscale du salarié.

AU PLAN SOCIAL

Le code de la sécurité sociale (Article L. 242-1 CSS al.12) fait référence à l’article 80 duodecies du CGI ; en d’autres termes, c’est la loi fiscale qui détermine la situation de l’indemnité au regard des cotisations sociales.

Mais, le plafond d’exonération social est plus rapidement atteint puisqu’il est fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond de la sécurité sociale, soit 78 456 € en 2017 (il est à noter que la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2017 a prévu de soumettre à cotisations dès le premier euro, les indemnités qui dépassent 10 plafonds annuels de SS, soit 392.280€ en 2017).

Dopées par cette incursion du juge fiscal, les URSSAF risquent d’augmenter le nombre de leurs décisions de redressement des indemnités de rupture.

En cas de redressement fiscal, les URSSAF s’aligneront et redresseront, sous réserve du régime de prescription lequel est, pour mémoire, de 3 ans plus l’année en cours.

En l’absence de contrôle fiscal préalable, elles pourront être tentées d’informer l’administration fiscale d’une situation pouvant donner lieu à contrôle.

CONCLUSION

Le recours à la transaction avait tendance à être banalisé.

Avec l’amorce d’une telle position fiscale, sans doute suivie à terme par les URSSAF, il devient essentiel d’anticiper les risques en portant un soin particulièrement important à la rédaction de la transaction et ses motifs, si les parties veulent pouvoir renforcer leurs chances de contester efficacement un redressement en matière d’exonération d’impôt sur le revenu.

Il conviendra notamment de mentionner les éléments qui pourront étayer la démonstration de « l’abus » commis par l’employeur, en prévision d’un éventuel contrôle, l’avocat apparaissant alors le mieux placé pour formuler au mieux un tel acte.

Antoine GONTIER, avocat associé Pôle SOCIAL PARTHEMA

Laure PAYET, avocat collaborateur Pôle FISCAL PARTHEMA