Maternité et Contrat de travail : une protection étendue voit le jour

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A l’expiration du congé de maternité, et pendant désormais 10 semaines, le contrat de travail d’une salariée ne peut être rompu par l’employeur que pour une faute grave non liée à sa maternité ou sa grossesse, ou en raison d’une impossibilité de maintenir son contrat de travail dépourvue de lien avec sa maternité.

La Cour de cassation a posé depuis plusieurs années le principe selon lequel cette dernière période qualifiée de « protection relative » débute à compter de la réintégration effective de la salariée dans l’entreprise à l’issue du congé de maternité. En pratique toutefois, le retour effectif de maternité de la salariée est souvent différé de quelques semaines, voire de quelques mois : apurement de congés payés, succession d’arrêt maladie, de congés payés et / ou de congé parental, absence non rémunérée, congé de formation…
Les cas de figure sont nombreux et la question de la prorogation de la période de protection relative a donné lieu à un abondant contentieux. La Loi 2016-1088 du 08.08.2016, JO 9, dite « Loi Travail », et la jurisprudence récente apportent une clarification bienvenue en la matière,
  • Point de départ et durée de la protection « relative » de la salariée au retour du congé maternité

La durée de cette période de protection « relative » est portée par la Loi Travail- article 10 – de 4 à 10 semaines * (C. trav. art. L 1225-4). Cette disposition est entrée en vigueur dès le 10 aout 2016.

Compte tenu de cette durée plus que doublée, la détermination de son point de départ et de son terme revêtent un enjeu majeur, tant pour les salariées que pour les employeurs.

Une première réponse est apportée s’agissant des congés payés : intégrant une solution adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 30 avril 2014), la Loi Travail a décalé le point de départ de cette période de protection « relative »  lorsque la salariée prend des congés payés immédiatement après son congé de maternité (C. trav. art. L 1225-4  précité). Par suite, les congés payés pris à la suite du congé maternité sont assimilés à ce dernier et interdisent à l’employeur toute rupture; c’est qu’on désigne sous le terme de « protection absolue ». La protection relative des 10 semaines ne démarre, quant à elle, qu’au terme des congés payés ainsi accolés.

L’article L 1225-4 visant uniquement « les congés payés pris immédiatement après le congé de maternité », sa lecture stricte exclut toute reprise temporaire entre la fin du congé maternité et les congés payés. On peut donc en déduire que la salariée qui reprend le travail, même une seule journée, avant de se placer sous le régime des congés payés ne bénéficie plus de la protection absolue et fait courir le délai de 10 semaines. Il sera, par ailleurs, relevé que la Loi Travail semble avoir défini une période préfixe non suspendue par la prise de congés payés à l’intérieur de la période de 10 semaines.

La Loi Travail n’a traité que du sort des congés payés; aucune réponse législative n’est donc apportée aux nombreuses autres hypothèses où la salariée ne reprend pas effectivement son poste au terme de son congé légal de maternité.

Dans une décision du 14 septembre 2016, la Haute juridiction limite expressément à une seule hypothèse la possibilité de reporter le point de départ de la protection relative, affirmant ainsi que « la période de protection de quatre semaines suivant le congé de maternité n’est suspendue que par la prise des congés payés suivant immédiatement le congé de maternité, son point de départ étant alors reporté à la date de la reprise du travail ». (Cass. soc. 14 septembre 2016). Cette décision reprend les termes du nouvel article L 1225-4 en les interprétant de manière limitative. Dans le cas d’espèce, la salariée avait bénéficié d’une dispense de travail rémunérée avant d’être licenciée pour motif économique. Elle arguait de la nullité de son licenciement au motif qu’en l’absence de reprise effective, elle était toujours sur le régime de la protection absolue contre le licenciement et que la période de protection relative qui était de 4 semaines au moment des faits n’avait pas démarré. Elle n’a pas obtenu gain de cause.

Par suite, en s’appuyant sur cette décision et sur les nouvelles dispositions légales, on peut en déduire raisonnablement que si la reprise effective du travail est différée pour une autre raison que la prise immédiate de congés payés (telles que notamment la pose de jours de RTT, un congé parental, une période de dispense rémunérée…), la période de protection absolue ne sera pas étendue.

Il n’est donc, en l’état des textes et de la jurisprudence, pas d’actualité de différer cette période pour un motif autre que les congés payés, ce que la Cour de cassation avait d’ailleurs déjà laissé entendre en 2015 en rejetant une demande de report consécutive à un arrêt de travail pour maladie (non constitutif d’un congé pathologique) ayant débuté immédiatement après le congé de maternité (Cass. soc. 8 juillet 2015),

La prudence s’impose toutefois en présence d’un arrêt maladie consécutif au congé maternité : s’il a été indiqué sur le certificat d’arrêt qu’il est constitutif d’un congé pathologique, il aura une incidence sur la durée de la protection. En effet, l’article L 1225-21 non modifié par la Loi Travail, limite à  2 semaines avant la naissance et 4 semaines après maximum la prolongation du congé maternité en cas d’état pathologique lié à la grossesse. Il en résulte que le congé maternité peut être allongé à due concurrence, ouvrant droit à la protection absolue sur ces 4 semaines et décalant ainsi le point de départ du délai de 10 semaines de protection relative. En revanche, selon plusieurs décisions d’appel, seules sont prises en compte ces 4 semaines de congé pathologique postérieur à l’accouchement et non pas l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail. (voir notamment CA Paris 6 mai 2004 n° 02-37991, RJS 12/04 n° 1274.). Ce point n’a pas à notre connaissance été tranché par la Cour de cassation. La rédaction sans ambiguïté de l’arrêt précité du 14 septembre 2016 amène à penser que la Chambre sociale entend faire une lecture stricte des cas de prorogation.

Un autre aspect à ne pas négliger pour déterminer le point de départ de la nouvelle période de protection de 10 semaines repose dans l’analyse des dispositions conventionnelles applicables : selon une décision d’appel ancienne mais non remise en cause par la Loi Travail, le point de départ de la période de protection relative correspond à la fin du congé maternité, que sa durée soit fixée par la loi ou par une convention collective. Il faut donc faire une lecture combinée de la Loi et des dispositions conventionnelles (de branche, de groupe, d’entreprise…). Par suite, la salariée qui bénéficie en vertu des dispositions conventionnelles d’une majoration de la durée du congé maternité peut se prévaloir des dispositions légales de protection absolue pour l’ensemble de la période de suspension du contrat de travail (CA Paris 8 juin 2004 18e ch. D, n° 04-30269). Les dix semaines de protection relative ne débuteront qu’à l’expiration de cette période conventionnelle.

L’employeur devra également s’interroger sur l’existence dans son entreprise d’éventuels usages plus favorables en la matière.

Enfin et pour conclure sur ce point, on aura à l’esprit que la Loi Travail a profondément remanié la surveillance des salariés et le traitement de l’inaptitude. En l’état des textes, la visite de reprise consécutive au congé maternité s’impose toujours. La question a été posé de savoir si cette visite pouvait avoir un effet déclencheur de la période de protection relative désormais de 10 semaines. La Chambre sociale de la Cour de cassation avait répondu négativement en fin d’année 2015 : rappelant que « la visite médicale de reprise à l’issue d’un congé de maternité avait pour seul objet d’apprécier l’aptitude de la salariée à reprendre son ancien emploi, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation de la salariée ou éventuellement de l’une et de l’autre de ces mesures », elle a jugé que cette visite n’avait pas pour effet de différer jusqu’à la date de son organisation la période de protection instituée par l’article L 1225-4 du même Code. (Cass. soc. 15 décembre 2015). Cette solution ne semble pas remise en cause.

  • Conséquences « mécaniques » de cet allongement à 10 semaines

Le passage de 4 à 10 semaines a pour effet d’augmenter substantiellement le montant des dommages et intérêts dus à la salariée dont le contrat aurait été rompu par l’employeur en violation de cette protection relative.

La prudence s’impose notamment en cas de licenciement économique, comme cela a été rappelé par une décision de la Cour d’appel de Nîmes, le 30 aout dernier. Les Juges  y ont appliqué, en effet, une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en vertu de laquelle le motif économique de licenciement ne constitue pas, en soi, une cause autorisée de licenciement d’une salariée pendant la période de protection relative : la lettre de licenciement doit invoquer expressément l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

En l’espèce, la salariée a obtenu les réparations prévues par l’article L 1225-71 du Code du travail, à savoir :

  • des dommages et intérêts pour licenciement nul, dont le montant est au moins égal à 6 mois de salaires ;
  • le montant du salaire – majoré des congés payés- qui aurait été perçu entre son licenciement et l’expiration de la période de protection dont elle aurait dû bénéficier à l’expiration de son congé de maternité.

A noter que dans cette affaire, la Cour d’appel de Nîmes a, en outre, alloué à la salariée la réparation :

  • du préjudice financier résultant de la période de chômage qu’elle a connu après son congé de maternité ;
  • d’un préjudice moral particulier résultant du fait que « son licenciement est intervenu pendant une période de sa vie où elle aurait dû bénéficier de repos et d’apaisement ». (CA. Nîmes 30 aout 2016 n°14/05898).

L’allongement de la protection de 4 à 10 semaines fait donc peser un risque supplémentaire aux entreprises.

 

  • La rupture conventionnelle toujours possible
Il convient de souligner que la Loi Travail n’a pas remis en cause la solution jurisprudentielle dégagée en 2015 selon laquelle il est possible, sauf vice du consentement ou fraude, de conclure une rupture conventionnelle avec une salariée en congé de maternité et pendant les 4 semaines suivant la fin de son congé (Cass. soc. 25 mars 2015).
Dans ce contexte, il est probable que l’administration revienne sur une position contraire qu’elle avait exprimée dans sa circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009.
Sous cette réserve, la rupture conventionnelle est donc accessible aux parties pendant la période de 10 semaines de protection relative, sauf fraude ou vice du consentement.
  • Le risque attaché aux « mesures préparatoires » au licenciement

A l’expiration de la période de protection de 10 semaines, l’employeur retrouve en principe la liberté de rompre unilatéralement le contrat, le droit commun s’appliquant avec une réserve de taille cependant : s’expose à la nullité du licenciement l’employeur qui a accompli des actes préparatoires à la rupture pendant la suspension du contrat de travail pour maternité, et notamment s’il procède au remplacement définitif de l’intéressée. (Cass. soc. 15 septembre 2010).

A noter que cette décision avait été émise dans un cas de licenciement pour insuffisance professionnelle alors que la salariée avait démontré que son remplacement définitif avait été acté et diffusé (notamment dans les organigrammes de l’entreprise) pendant son congé maternité ; cela avait été analysé comme constituant des actes préparatoires à la rupture réalisés pendant la période d’interdiction absolue. Cette décision, conforme à la position de la Cour de justice des Communautés européennes** avait connu un certain retentissement dans la mesure où la Cour de cassation admettait jusqu’alors la possibilité d’engager une procédure de licenciement pendant le congé de maternité, à condition que la rupture ne soit pas notifiée à la salariée ou ne prenne pas effet pendant la période de suspension du contrat de travail.

Cette position a été nuancée en début d’année 2016 : la Chambre sociale a jugé qu’une réorganisation mise en œuvre pendant le congé de maternité n’est pas nécessairement une mesure préparatoire au licenciement. (Cass. soc. 10 février 2016). En l’espèce, l’existence d’une mesure préparatoire au licenciement n’a pas été retenue : la réorganisation de la société et le remplacement définitif de la salariée avaient été portés à sa connaissance avant son départ en congé de maternité et son licenciement, intervenu plusieurs mois après son retour, était motivé par son refus de plusieurs propositions de postes, similaires à celui qu’elle occupait. Il semble en ressortir que le critère déterminant pour apprécier la notion de mesure préparatoire au licenciement serait l’intention manifestée par l’employeur.
Un éclairage complémentaire vient d’être apporté :
La prudence s’impose bien évidemment en la matière : toute rupture envisagée et / ou mise en œuvre à une date proche de l’une ou l’autre période de protection développée ci-dessus devra être entourée d’importantes précautions juridiques.
Une attention toute particulière devra être, en amont, portée à la rédaction du contrat de travail du remplaçant, surtout dans un contexte de réorganisation possible du service ou de l’entreprise. On ne saurait, par ailleurs, trop recommander d’être particulièrement vigilant sur la communication qui peut être faite sur le remplacement de la salariée en congé maternité pour éviter toute interprétation d’un caractère définitif à ce remplacement qui pourrait alors constituer un indice d’une mesure préparatoire prohibée.
  • Et la protection attachée au père ?

Pour rappel, la protection contre la rupture du contrat a été étendue au jeune père par une loi du 4 août 2014, afin de prévenir des ruptures de contrat motivées par la situation de famille du salarié ou par la prise d’un congé de paternité.

Initialement de 4 semaines, la durée de cette protection est alignée : les intéressés bénéficient désormais également depuis le 10 aout dernier de la protection relative pendant les  10 semaines qui suivent la naissance de l’enfant***. (C. trav. L 1225-4-1)

Le point de départ de cette protection est systématiquement la date de naissance de l’enfant : la pose éventuelle de congés payés, de congés familiaux liés à cette naissance, et / ou du congé de paternité ne devraient pas, en l’état, avoir d’incidence sur le point de départ ou le terme de la protection.

Par analogie avec la décision visée ci-dessus, on peut également déduire que la suspension du contrat de travail du jeune père pour arrêt maladie ne prolongera ni ne décalera la période de protection de 10 semaines.

Enfin, il sera souligné que la rupture conventionnelle est bien évidemment ouverte aux salariés sur cette période de 10 semaines.

*Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.
Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
** Interprétant la directive de 92/85 du 19 octobre 1992, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à déclarer qu’« il (était) interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant pendant la période de protection, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision, telles que la recherche et la prévision d’un remplacement définitif de l’employée concernée, avant l’échéance de cette période » (CJCE 11 octobre 2007 aff. 460/06 : RJS 2/08 n° 239 note E. Lafuma p. 103).
***Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant.Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.