Harcèlement moral : l’obligation de résultat « glisse » vers la qualité de la prévention

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Si la « rentrée » est souvent propice à de bonnes résolutions, la Prévention des risques et du Harcèlement s’invitent dans les entreprises.

Par un arrêt remarqué du 1er juin 2016 la Chambre sociale de la Cour de Cassation a nuancé sa jurisprudence selon laquelle le harcèlement fait partie de l’obligation de sécurité de résultat incombant à l’employeur.

Il sera rappelé qu’en application de cette jurisprudence constante depuis 2006 ce dernier ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité en invoquant l’absence de faute de sa part, ni le fait d’avoir sanctionné le ou la responsable, et ce quand bien même il aurait pris des mesures  rapides en vue de faire cesser les agissements de harcèlement moral dénoncés. Cette jurisprudence très sévère pouvait notamment s’avérer contre-productive en terme de prévention puisque, dès lors que des faits de harcèlement étaient établis, les employeurs étaient responsables quoi qu’ils aient fait antérieurement et quelle qu’ait été leur réaction ultérieure .

Dans sa décision du 1er juin, la Chambre sociale pose désormais le principe que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ». (Cass. soc. 1er juin 2016)

La solution adoptée le 25 novembre 2015 (arrêt AIRFRANCE) qui a marqué une évolution jurisprudentielle dans l’application de l’obligation de sécurité de résultat est dès lors étendue à la situation de harcèlement moral.

L’employeur peut désormais espérer s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral, sa responsabilité n’étant plus automatique.

A noter cependant que la seule circonstance qu’il ait pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’ait fait cesser effectivement, circonstance nécessaire, n’est pas suffisante. Il importe également et surtout qu’il ait pris en amont toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment qu’il ait (préalablement) mis en œuvre des actions d’information et de formation « propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».

Soulignons que la seule stipulation d’une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral dans le règlement intérieur de l’entreprise – bien qu’utile et recommandée – a été jugée insuffisante : il appartenait à l’employeur de prouver qu’il avait pris toutes les mesures de prévention visées par le Code du travail.

harcelement

Le débat sur l’obligation de résultat se déplace donc en amont : la charge de la preuve repose sur l’employeur qui devra justifier qu’il a bien pris toutes les mesures préventives légales, sa carence sur ce point pouvant suffire à engager sa responsabilité. S’il franchit cette première étape probatoire avec succès, il devra encore prouver :

  • qu’il n’a pas commis de faute personnelle
  • qu’il a réagi immédiatement dès connaissance des faits susceptibles de caractériser le harcèlement
  • que ses actions étaient bien appropriées pour faire cesser effectivement la situation ainsi dénoncée.

L’employeur dispose donc de nouveaux moyens d’actions, en amont, et en défense, la fatalité n’étant plus de mise en la matière. C’est sur la preuve de la mise en œuvre effective d’actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral que se dénoueront les contentieux en responsabilité et non plus uniquement sur le terrain de la réparation.

On ne saurait trop conseiller aux employeurs d’engager dès à présent des actions concrètes et d’en conserver la preuve, telles que par exemple des actions de formation des managers, l’organisation de réunion d’information et de sensibilisation du personnel, la mise à jour du règlement intérieur, l’élaboration et la diffusion d’une procédure d’alerte etc. La traçabilité sera également déterminante pour dater la connaissance par l’employeur des événements et les mesures prises pour faire cesser les faits dénoncés.

to-do-list

Cette exigence de réactivité attendue de la part de l’employeur ne doit, cependant, pas être confondue avec de la précipitation : il sera, en effet, rappelé que depuis une décision d’octobre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que si l’employeur doit prendre toutes les dispositions pour prévenir ou faire cesser un harcèlement, il ne doit pas rompre immédiatement le contrat de travail du supposé harceleur sans que les faits ne soient établis. (Cass. soc. 22 octobre 2014).

La prudence et la réactivité s’imposent donc aussi dans la collecte nécessaire des preuves et éventuels témoignages avant de prendre les mesures propres à faire cesser la situation de harcèlement, surtout si celles-ci impliquent l’exercice du pouvoir disciplinaire à l’encontre du salarié désigné comme étant l’auteur des faits de harcèlement.

(cf aussi l’article « Prud’hommes : attention à la preuve du Harcèlement« ).

Jasmine LE DORTZ-PESNEAU