Le contentieux prud’homal lié au harcèlement moral a été et est encore très abondant.
Litiges par nature délicats, à forts enjeux humains pour les deux parties au procès, ils présentent aussi des incidences managériales et financières. Ces procédures sont d’autant plus difficiles à appréhender dans les entreprises que le régime de la preuve en est complexe et parfois mal compris.
La Loi 20016-1088 du 8 aout 2016 dite Loi Travail a modifié ce régime, ce qui risque d’accroître le désarroi de certains employeurs ou DRH en charge de préparer avec leurs conseils la constitution de ces dossiers en défense.
En effet, depuis la loi du 3 janvier 2003, le régime probatoire suivait trois étapes :
- en premier lieu, il appartenait au salarié « d’établir des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement »; le demandeur devait donc apporter la preuve de faits concordants susceptibles de créer une présomption de harcèlement.
- dans un second temps et uniquement si le demandeur avait répondu positivement à cette obligation préalable d’établir les faits, il revenait ensuite au Juge de former sa conviction en prenant en compte l’ensemble des éléments établis par le salarié sans pouvoir en écarter aucun, certificats médicaux compris, afin de dire si ces faits laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral; dans la négative, la demande devait être écartée.
- si le Juge estimait qu’il y avait présomption, l’employeur devait alors prouver que les agissements reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que « ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
En pratique, un certain nombre de demandes était rejeté en l’absence de preuves suffisantes de « faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement ». Il avait ainsi été observé que les conseils des demandeurs se détournaient quelque peu de ce fondement pour privilégier des actions en responsabilité sur le terrain du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, des manquements à la prévention des risques psycho-sociaux, de la souffrance au travail, etc.
En alignant le régime probatoire du harcèlement sur celui des discriminations* la Loi Travail va peut-être redonner une certaine vigueur à ce contentieux. Désormais, un salarié qui s’estime victime de harcèlement moral – ou sexuel – devra « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence de ce harcèlement ». L’exigence probatoire est donc moindre. (C. trav. art. L. 1154-1 modifié).
Le Juge n’a plus à vérifier si la preuve des faits est établie ni si ceux-ci permettent de présumer le harcèlement. La « balle » sera renvoyée à l’employeur qui devra toujours, quant à lui, et « au vu de ces éléments (…) prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». (C. trav. art L 1154-1 précité).
Il est donc prévisible qu’un plus grand nombre de demandes salariales sur ce fondement du harcèlement moral franchissent avec succès le « sas » de la première étape probatoire devant les Conseils de prud’hommes et les Cours d’appel.
Ceci ne peut qu’inciter encore plus les employeurs, DRH et managers à œuvrer en amont pour prévenir la survenance de tels actes.
La collecte des preuves sera d’autant plus déterminante pour l’issue de ce type de dossiers qu’elle semble désormais laissée à l’appréciation souveraine des Juges du fond, la Cour de cassation se limitant au seul contrôle du mécanisme probatoire en tant que tel et non pas des faits. (Cass. soc. 8 juin 2016). En outre, l’observation d’un certain déplacement du champ de l’obligation de sécurité de résultat vers la prévention devrait encourager les employeurs à formaliser les mesures prises pour prévenir les actes de harcèlement. (pour aller plus loin sur ce sujet, lire la Chronique EXPERT « Harcèlement moral : l’obligation de résultat glisse vers la prévention« à paraître prochainement dans les ACTUALITES de PARTHEMA).
En l’absence de précision contraire, cette disposition est entrée en vigueur le 10 aout 2016. Par analogie avec ce qui avait été jugé précédemment lors de l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 2003**, il convient cependant de continuer à appliquer pour les instances en cours les règles relatives à la charge de la preuve applicables au moment des faits. Si ceux-ci sont antérieurs au 10 aout 2016, le demandeur devra toujours « établir des faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement ».