Vers une motivation standardisée et évolutive de la lettre de licenciement ?

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L’assouplissement annoncé des exigences de motivation de la lettre de licenciement.

Dans la lignée de la loi d’habilitation, l’ordonnance « MACRON » du 22 septembre 2017 « relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail », n°2017-1387, fixe de nouvelles règles en matière de motivation du licenciement.

Qu’en est-il réellement ?

1. Ce qui change

  • Possible usage de modèles de lettre de licenciement

L’article 4 de l’Ordonnance prévoit la mise à disposition des employeurs de modèles « type » de lettre de licenciement dont le contenu sera fixé par décret et qui devront rappeler les droits et obligations de chaque partie.

L’introduction de lettre-type a pour objectif de faciliter la motivation du licenciement, fondé sur un motif personnel (art. L. 1232-6 nouveau du code du travail) ou sur un motif économique (art. L. 1233-16 et L. 1233-42 modifiés du code du travail). Cela reste une faculté, l’employeur demeurant libre – et responsable – de la rédaction et du contenu de la lettre de licenciement.

  • Une motivation pouvant être précisée après la notification

Jusqu’à présent et en application d’une jurisprudence constante, la lettre de licenciement « fixe le cadre du litige » et ne peut donc pas être complétée ni précisée ultérieurement ; en vertu de ce principe, le juge prud’homal ne peut, pour apprécier l’existence, ou non, d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, ne retenir que le ou les motifs expressément visés dans la lettre de rupture. Il en ressort qu’une imprécision de motif équivaut à une absence de motivation et est sanctionnée aussi sévèrement qu’un licenciement qui ne serait pas du tout motivé ou qu’un licenciement verbal, à savoir par l’octroi de dommages et intérêts pour rupture abusive (art. L. 1235-3 modifié du code du travail) et par l’obligation de rembourser à Pôle Emploi les allocations chômage versées au salarié dans la limite de 6 mois (art. L. 1235-4 du code du travail).

Désormais, « la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement » (art. L. 1235-2 alinéa 2 modifié du code du travail). Le principe demeure donc mais laisse à l’employeur la faculté, à son initiative ou sur demande du salarié, de préciser le ou les motifs énoncé(s) dans la lettre de licenciement après sa notification.

Les conditions (forme et délais de la demande et de la réponse) seront fixées par décret.

  • Une sanction moindre de l’imprécision du motif

Une des mesures phare de l’Ordonnance est le passage d’une sanction pour rupture abusive à une « simple » indemnité pour irrégularité de procédure. En effet, il est prévu que l’imprécision du motif ne rende plus nécessairement le licenciement abusif, mettant ainsi un terme à la jurisprudence précitée. En jeu une indemnité qui relève du nouveau barème d’indemnisation d’un côté (pouvant donc aller jusqu’à 20 mois de salaire selon l’ancienneté) , ou une indemnité plafonnée à un mois de salaire (quelle que soit l’ancienneté) de l’autre.

Le futur article L. 1235-2 alinéas 3 et 4 disposent en effet :

« A défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.
En l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l’indemnité allouée conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3. »

Par suite, le salarié n’est pas tenu de demander de précision. C’est une faculté pour lui. S’il y renonce, ou s’il le fait tardivement, il pourra demander au Conseil de prud’hommes de constater l’insuffisance de motif et réclamer à ce titre une indemnité pour irrégularité de procédure dans la limite maximale d’un mois de salaire.

Si, en revanche, il demande des précisions mais que le motif est malgré tout jugé imprécis (soit parce que l’employeur n’a pas répondu, ou pas dans les délais, soit que ses précisions sont insuffisantes…), la sanction sera alors, comme auparavant, l’absence de cause réelle et sérieuse. Elle ouvrira droit à indemnisation dans les limites du barème de l’article L. 1235-3 précité.

  • Le nécessaire examen de l’ensemble des griefs énoncés, même en présence d’un motif portant atteinte  une liberté fondamentale

Jusqu’à présent, si l’employeur vise plusieurs motifs et que l’un d’entre eux est prohibé, le licenciement encourt la nullité, sans possibilité pour le juge d’examiner le ou les autres griefs visés dans cette lettre (règle du motif dit « contaminant »). Cette solution jurisprudentielle a, ainsi, été retenue par le juge lorsque l’employeur reproche au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir dénoncé des actes de maltraitance ou de harcèlement, d’avoir participé à une grève ou d’avoir fait usage de son droit de retrait.

L’article 4, IV de l’ordonnance prévoit que la nullité encourue ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation de l’indemnité à allouer au salarié (C. trav. art. L 1235-2-1).

La nullité est donc toujours encourue et le salarié aura droit à une indemnité ne pouvant être inférieure au salaire des 6 derniers mois en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail ; le barème plafonné de l’article L. 1235-3 est expressément écarté. En revanche, les autres griefs qui étaient jusqu’à présent totalement ignorés seront désormais analysés et pourront être pris en compte pour fixer le montant de l’indemnité qui sera éventuellement allouée en sus de ce montant minimum.

2. La date d’effet

L’adoption de modèles « type » de lettre de licenciement devrait faire l’objet d’une concertation préalable avec les partenaires sociaux avant adoption. Ils seront diffusés et applicables après la parution d’un Décret en Conseil d’Etat au Journal Officiel.

La faculté de préciser le motif du licenciement pour motif personnel ou pour motif économique ne sera ouverte qu’après publication du décret nécessaire à sa mise en œuvre.

Les dispositions relatives à la sanction d’une insuffisance de motif entreront en vigueur à la date de publication du décret d’application et au plus tard le 1er janvier 2018.

Dans cette attente, l’employeur demeure lié par le motif tel que rédigé dans la lettre et s’expose, en cas d’imprécision ou d’insuffisance de motif, à une condamnation pour rupture abusive.

S’agissant de l’abandon de la jurisprudence sur le « motif contaminant », l‘article L.1235-2-1 nouveau est applicable à compter du lendemain de la publication de l’ordonnance, c’est à dire pour les licenciements notifiés depuis le 24 septembre 2017.

3. Les questions pratiques en suspens

◊ Dans l’attente du décret, le principe même de « modèles type » de lettre de licenciement soulève un certain nombre de questions pratiques, au regard notamment du nombre, de la variété et de la précision des mentions que comporte une lettre de rupture.

Ainsi, tout particulièrement, en matière de licenciement pour motif économique, on peut s’interroger sur:

→ la stipulation de cases à cocher correspondant aux différentes causes possibles de licenciement ? étant entendu que l’article L. 1233-3 du code du travail ne contient pas de liste exhaustive (emploi de l’adverbe « notamment »);

→ la mention dans la lettre type des incidences sur l’emploi et des conséquences pour le salarié ? la jurisprudence exige, en effet, que la lettre de licenciement mentionne à la fois les raisons économiques et leurs incidences sur l’emploi ou le contrat de travail (Cass. soc. 28-1-2015 no 13-20.861 FS-D) ?

→l’indication dans le modèle des efforts de reclassement qui auront été réalisés dans la société, voire dans le groupe ?

On peut aussi craindre que cette apparente facilité ne fasse oublier, par exemple, l’obligation d’énoncer par écrit le motif économique de licenciement*, ou les indications relatives aux effets de la rupture du contrat de travail (préavis, remise des documents relatifs à la rupture, restitution des biens, levée de la clause de non concurrence…).

La fourniture d’un modèle, aussi louable soit-elle, ne permettra pas, à notre sens, de faire l’économie des conseils d’un professionnel du droit pour apprécier, en amont, l’existence ou pas d’une cause de licenciement, la validité de celle-ci, les délais de prescription disciplinaire, les obligations de reclassement en matière d’inaptitude ou de motif économique, les catégories professionnelles et l’ordre des licenciements, les éventuelles obligations d’information et de consultation des représentants du personnel … autant de questions qu’il faudra toujours identifier et traiter avant d’engager la procédure de licenciement et auxquelles un formulaire ne répondra pas.

Le fait que le modèle doive renseigner les droits et obligations de chaque partie au contrat de travail visera, vraisemblablement, les mentions obligatoires, telle que la mention de la priorité de réembauchage.

Sur ce point, il sera noté que l’ordonnance 2017-1387 précitée n’a pas rendu obligatoire la mention dans la lettre de licenciement de la possibilité pour le salarié de demander à son employeur, après la notification de son licenciement, que celui-ci précise le motif indiqué dans la lettre de rupture. Une telle mention paraît pourtant utile, voire nécessaire, compte tenu de son incidence sur les droits à réparation du salarié. Il conviendra de vérifier si les modèles de lettre de licenciement la mentionneront.

Il était initialement prévu que l’employeur puisse « préciser ou compléter«  le motif de licenciement. La version finale n’a retenu que la possibilité de le préciser, au sens d’expliciter le motif indiqué, à l’exclusion de l’adjonction de tout nouveau motif ou grief. Un contentieux risque d’émerger sur cette notion de précision et sur ce que l’employeur pourra, ou pas, ajouter à sa rédaction initiale.

Il sera relevé que tout nouveau fait fautif découvert postérieurement à la notification ne pourra toujours pas être ajouté ; en outre, l’alinéa 2 de l’article L. 1235-2 précité limite cette faculté de précision au(x) seul(s) motif(s) de licenciement. Il ne sera donc pas possible de « préciser » le reste du contenu de la notification, notamment en cas d’omission ou d’imprécision d’une mention obligatoire.

Il nous apparaît nécessaire de continuer à bien préparer en amont la tenue de l’entretien préalable, la collecte des pièces correspondantes et la rédaction de la lettre, qui devra bien viser l’ensemble des motifs justifiant la rupture du contrat. L’employeur ne pourra pas compléter la lettre et il est vraisemblable que le délai qui lui sera imparti pour la préciser sera assez bref.

La lettre de licenciement et le courrier éventuel de « précision(s) » formeront un tout qui sera opposable à l’employeur et au juge. La rédaction de la lettre de précision sera donc un exercice délicat à bien anticiper.

Si l’employeur n’a pas répondu à la demande de précision, ou s’il la fait tardivement, ou si sa réponse demeure insuffisamment précise, voire si elle est en contradiction avec tout ou partie de ce qui aura été écrit dans la lettre de rupture initiale, il s’exposera à une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu des sanctions différentes de l’insuffisance de motivation dans l’un ou l’autre cas – selon que le salarié a ou pas demandé des précisions – cette nouvelle règle pourrait inciter les salariés licenciés à demander systématiquement des précisions sur leur licenciement.

En l’état du texte, l’employeur ne semble pas pouvoir échapper au risque d’un vice de motivation en prenant l’initiative de préciser son motif sans attendre de demande du salarié. En effet, l’article L. 1235-2 réserve l’indemnité pour irrégularité au seul cas du  » défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande de précision ».

S’agissant de l’abandon de la jurisprudence sur le « motif contaminant », il faut comprendre que même si le juge considère que les autres griefs contenus dans la lettre de licenciement auraient pu constituer une cause réelle et sérieuse de rupture, il devra quand même prononcer la nullité et allouer une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des 6 derniers mois ; il devra, en revanche, en tenir compte si le salarié réclame un montant supérieur de dommages et intérêts.

L’indiction d’une pluralité de motifs dans des cas délicats aura donc un intérêt dans l’administration de la preuve, le juge restant libre de l’appréciation souveraine du préjudice au-delà de ces 6 mois.

4. Les principales sources

Article 4 de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 : 

art. L. 1232-6 nouveau du code du travail

art. L. 1233-16 et L. 1233-42 modifiés du code du travail.

art. L. 1235-2 modifié du code du travail

article L.1235-2-1 nouveau du code du travail

 

Jasmine LE DORTZ PESNEAU, avocate associée

Pôle Social PARTHEMA

* en effet, de jurisprudence constante, l’employeur doit permettre au salarié d’accepter ou de renoncer au bénéfice du CSP en étant éclairé sur le motif économique, qu’il doit dès lors énoncer par écrit :
-soit dans le document écrit d’information sur la convention de reclassement personnalisé remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement,
-soit dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail » (Cass. soc., 14 avr. 2010, no 08-45.399)

 

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