Vers un contrôle administratif de la cause de l’inaptitude ?

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Un avis récent du Conseil d’État soulève la question de l’étendue du contrôle de l’Inspection du travail en matière de procédure spéciale d’autorisation suite à inaptitude d’un salarié protégé.

En l’état de la règlementation et de la jurisprudence, l’inspecteur du travail saisi par un employeur d’une demande d’autorisation de licenciement pour un salarié protégé n’a pas à rechercher ou contrôler la cause de l’inaptitude.

Il a ainsi été jugé que l’inspecteur du travail peut autoriser un licenciement pour inaptitude qui trouverait sa cause dans un harcèlement moral, à charge pour le salarié de faire valoir devant le juge judiciaire les droits afférents à cette situation de harcèlement en formant, à l’encontre de l’employeur, une demande d’indemnisation, voire d’annulation dudit licenciement (CE, 20 novembre 2013 ; Cass. soc., 27 novembre 2013).

Le Conseil d’État était saisi, pour avis, par le Tribunal administratif de Nantes de la question suivante : « l’inspecteur du travail, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude physique d’un salarié protégé, doit-il refuser le licenciement comme étant en rapport avec les fonctions représentatives, lorsque l’inaptitude résulte d’une dégradation de son état de santé en lien direct avec les difficultés mises par son employeur à l’exercice des fonctions ».

Cette question supposait d’articuler le principe rappelé ci-dessus avec un autre, consacré par les textes et régulièrement rappelé par la jurisprudence, selon lequel aucun licenciement « en lien » ou « en rapport » avec les fonctions représentatives ou l’appartenance syndicale d’un salarié protégé, ne peut en effet être autorisé par l’inspecteur du travail (C. trav., art. R. 2421-7 ; R. 2421-16).

La position administrative rappelée par la Circulaire relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés en 2012 était très claire : « La reconnaissance de l’inaptitude relève de la compétence exclusive du médecin du travail. Il n’entre pas dans le champ de contrôle de l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude pour un salarié protégé d’apprécier les causes de l’inaptitude médicalement constatée. Une décision administrative autorisant ou refusant le licenciement d’un salarié sur ce point sera entachée d’illégalité. » La circulaire rappelait toutefois que « cela ne prive pas l’autorité administrative de l’usage de son pouvoir d’appréciation de l’existence d’un éventuel lien entre la demande d’autorisation et les mandats exercés ». (Circulaire DGT n°07/2012 du 30 juillet 2012).

L’avis du 21 septembre 2016 est encore plus explicite en affirmant qu’« il appartient en toutes circonstances à l’autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d’une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l’intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l’administration accorde l’autorisation sollicitée. Le fait que l’inaptitude du salarié résulte d’une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l’employeur à l’exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l’existence d’un tel rapport ». (Conseil d’État, Chambres réunies, Décision nº 396887 du 21 septembre 2016 publié au Journal officiel du 7 octobre 2016).

En clair, l’inspecteur du travail sera tenu de refuser son autorisation si l’inaptitude est liée à un comportement fautif de l’employeur dans le cadre, par exemple, de l’exercice des fonctions représentatives. Dans ce cas, le licenciement sera considéré comme étant en rapport avec le mandat, ce qui empêchera toute délivrance de l’autorisation. Si l’autorisation est malgré tout délivrée, le salarié pourra en obtenir l’annulation.

Il faut en déduire que bien que l’inspecteur du travail n’ait pas, en principe, à rechercher la cause de l’inaptitude d’un salarié protégé, s’il apparaît que cette inaptitude a été provoquée au moins en partie par des obstacles mis par l’employeur à l’exercice du mandat, aucune autorisation de licenciement ne pourra être valablement délivrée. On peut penser que le lien sera établi si le salarié apporte, par exemple, la preuve d’obstacles non justifiés à la prise d’heures de délégation, ou de mesures de discrimination en lien avec son mandat dans le cadre de l’enquête contradictoire préalable à la décision sur l’autorisation de licenciement.

Dans ce contexte, la préparation, en amont, d’une part du dossier et des pièces à l’appui de la demande d’autorisation et, d’autre part, de l’audition des parties par l’Inspecteur du travail va devenir encore plus déterminante.

 

Jasmine LE DORTZ-PESNEAU