RESUME : Afin d’encadrer les conditions d’appréciation de l’intérêt pour agir de l’auteur d’un recours dirigé contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir, l’article L. 600-1-2 a été introduit dans le Code de l’urbanisme. Depuis lors le requérant, qui demande l’annulation d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir doit prouver que la construction, l’aménagement ou les travaux projetés sont « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’ [il] détient ou occupe régulièrement […] ». Par une décision du 10 juin 2015 n° 386121, le Conseil d’Etat a explicité la répartition de la charge de cette preuve et, ce faisant, a précisé l’interprétation de ce nouvel article. Au cours de l’année 2016, deux nouvelles décisions sont venues confirmer la première¹.
L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme a introduit dans le Code de l’urbanisme un nouvel article L. 600-1-2 qui énonce que :
« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».
Cette disposition reprenait les préconisations du Rapport Labetoulle qui entendaient notamment clarifier les règles de l’intérêt à agir dans le contentieux de l’urbanisme et réaliser, ainsi, « un juste équilibre entre les intérêts en présence par la référence qu’elle comporte aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien »².
La disposition législative précitée s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence qui s’est développée, sur cette question, en l’absence de texte. La consécration législative n’avait pas pour but de renverser la jurisprudence mais plutôt d’envoyer aux juridictions « un signal les invitant à retenir une approche un peu plus restrictive de l’intérêt pour agir »³.
Des interrogations persistaient quant à la preuve des troubles dans « les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien ».
Par la décision du 10 juin 2015 le Conseil d’Etat adopte un raisonnement en trois temps et instaure un mécanisme de « preuve partagée ».
Premièrement, le requérant devra justifier de son intérêt à agir en faisant état d’un maximum d’éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que l’atteinte qu’il invoque est susceptible « d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ».
Deuxièmement, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, le défendeur est quant à lui invité à apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.
Troisièmement, le juge se fondera sur les pièces versées au dossier en écartant les allégations insuffisamment étayées mais sans exiger pour autant du requérant qu’il prouve le caractère certain des atteintes dont il se prévaut pour justifier de son intérêt à agir.
Faisant application de la grille de lecture proposée par la décision susvisée le Conseil d’Etat a, par une récente décision en date 10 février 2016 n° 387507, confirmé que le simple fait de se prévaloir de la qualité de voisin immédiat du projet, sans apporter d’autres précisions quant aux troubles occasionnés par la construction projetée, ne suffisait pas à conférer un intérêt à agir au requérant.
En revanche, doit se voir reconnaître un intérêt à agir le voisin direct du projet lorsqu’il apporte des éléments précis faisant état de ce que la construction projetée, de par sa hauteur risquait de modifier sa vue, son cadre de vie… Tel est le sens d’une récente décision du Conseil d’Etat en date 13 avril 2016 n° 389798, laquelle vient censurer l’ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Marseille en date du 24 février 2015 qui avait proposé une interprétation très restrictive de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme.
Deux choses ressortent de ces jurisprudences :
– D’une part, les allégations de troubles qui, au vu des pièces du dossier, seraient purement fantaisistes seront à l’évidence écartées par le juge. De même, le simple fait de faire état de la qualité de « voisin immédiat » ne saurait automatiquement conférer à celui-ci un intérêt à agir. Cette position se situe ainsi dans la droite ligne de la volonté du législateur qui souhaitait limiter les recours dilatoires ou malveillants.
– D’autre part, l’intérêt à agir du requérant demeure largement entendu puisqu’il n’est pas exigé de lui qu’il prouve le caractère certain de l’atteinte et qu’en outre le défendeur est tenu d’établir le caractère infondé des allégations du requérant.
Ce faisant, le Conseil d’Etat réaffirme sa volonté de prévenir les recours purement dilatoires dans le contentieux de l’urbanisme sans pour autant renier l’essence même du recours pour excès de pouvoir, branche du contentieux dans laquelle l’appréciation de l’intérêt à agir porte la marque d’un certain libéralisme.
Par ces décisions le Conseil d’Etat réalise un double équilibre qui se situe, à la fois, entre les intérêts en présence du défendeur et du requérant, mais également entre les principes du droit au recours et de la sécurité juridique.
Yohan VIAUD et Caroline BARDOUL