CE mécanisme contractuel est-il déconnecté de l’évolution des modes de travail, ou conserve-t-il au contraire toute sa raison d’être ?
La clause d’exclusivité n’est pas définie par le code du travail. Issue de la pratique, elle se caractérise par l’engagement du salarié à consacrer l’exclusivité de son activité à un employeur. Elle s’analyse comme une atteinte à la liberté de travail à l’instar de la clause de non concurrence. Cette dernière n’a, toutefois, vocation à s’appliquer qu’après la rupture alors que la clause exclusivité renforce les obligations de loyauté et de bonne foi pendant l’exécution du contrat.
En l’état de la jurisprudence, elle n’est valable que si elle est, d’une part, indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, et d’autre part, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
Le phénomène de « disruption », aussi qualifié « d’ubérisation » a changé profondément les références économiques, les comportements des consommateurs, et les modèles de travail. De plus en plus de salariés, de demandeurs d’emplois, d’étudiants, de retraités, de femmes au foyer… se procurent un revenu principal ou complémentaire à raison de quelques heures d’activité par jour ou par semaine via les plateformes collaboratives, le plus souvent en dehors de tout contrat de travail. Freelances, autoentrepreneurs et cumuls d’activité se développent. Les salariés adoptent de plus en plus le nomadisme comme « plan de carrière ». Certains vont jusqu’à dire que « le travail, c’est du slash, du slow, du nomadisme et/ou du néo-ruralisme »*. L’arrivée sur le marché du travail des « digital natives », aussi appelés les membres de la « génération Y », est à mettre en perspective avec, d’une part, l’augmentation des contrats à temps partiel, en progression constante depuis 40 ans, et d’autre part la révolution numérique qui impacte les formes d’emploi.
Ces évolutions questionnent la notion de fidélisation des salariés et la capacité à organiser juridiquement un attachement exclusif à leur emploi.
Une clause porteuse d’enjeux forts
Dans ce contexte, la clause exclusivité peut apparaître, selon les points de vue :
- comme un frein aux initiatives individuelles,
Préserver, voire développer « l’employabilité » des salariés devient une préoccupation des entreprises soumises à une obligation de formation et d’adaptation de leurs personnels. Dans ce contexte et face au niveau du chômage d’une part, et à l’émergence des nouveaux modes de travail d’autre part, on peut s’interroger sur l’avenir de la clause d’exclusivité qui porte atteinte à la liberté fondamentale de travailler.
Un nouveau contentieux risque de se développer en réparation du préjudice de la stipulation de clauses jugées excessives ou illicites. On peut aussi se demander si la Cour de cassation ne va pas ériger la stipulation d’une contrepartie pécuniaire comme critère de validité de la clause d’exclusivité, à l’instar de sa jurisprudence constante depuis 2002 en matière de non concurrence. Sans aller jusque-là, les entreprises risquent d’engager leur responsabilité si elles stipulent systématiquement des clauses exclusivité dans tous les contrats de travail, au risque d’ailleurs de tomber dans l’écueil du contrat d’adhésion tel que défini par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations*.
- ou comme un garde-fou
La multiplication des situations de pluriactivité peut générer un moindre investissement dans l’entreprise, voire des situations de concurrence déloyale. Elle interroge également les notions de durée maximale de travail et les obligations de prévention et de sécurité reposant sur l’employeur. On ne peut, en effet, ignorer l’augmentation des risques professionnels pour les entreprises qui emploient des salariés cumulant, sans contrôle, plusieurs activités professionnelles.
Une clause d’exclusivité soumise à de nombreux critères
Avant d’insérer ou de maintenir une telle disposition dans un contrat de travail, il convient de s’interroger sur son intérêt.
L’analyse des solutions jurisprudentielle est alors utile. Il en ressort que la validité de la clause d’exclusivité doit être appréciée en fonction :
- de sa portée : interdiction totale, ou supposant l’information et / ou l’autorisation préalable de l’employeur, restriction aux seules activités concurrentes, etc.
- de l’existence, ou pas, d’intérêts légitimes de l’employeur à protéger : les Juges du fond vont notamment vérifier si l’intéressé aura accès à des informations confidentielles ou à des secrets de fabrication dans l’emploi occupé.
- de l‘implication personnelle requise du salarié, exclusive de toute autre activité, en fonction de la nature de la fonction.
- du niveau de qualification du salarié.
- de la proportionnalité entre l’investissement total attendu et « la rémunération octroyée, à la mesure des contraintes ainsi imposées ».
A titre d’exemple récent, il a été jugé qu’est « justifiée par la nature des fonctions confiées au salarié, comptable, touchant à des éléments essentiels et confidentiels de la vie de la société, et proportionnée au but recherché la clause d’exclusivité n’instaurant pas une interdiction absolue d’exercer une autre activité professionnelle mais imposant d’en informer l’employeur et de recueillir son accord préalable » (Cass. soc., 29 septembre 2016).
Une clause susceptible de nullité pour les temps partiels
La jurisprudence applique très strictement ces critères s’agissant de clause d’exclusivité dans les contrats à temps partiel : « La clause par laquelle un salarié à temps partiel se voit interdire toute autre activité professionnelle, soit pour son compte, soit pour le compte d’un tiers, porte atteinte au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et n’est dès lors valable que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ». (Cass. soc., 25 février 2004).
La nullité d’une telle clause n’a cependant pas pour effet d’entraîner la requalification du contrat à temps partiel en contrat de travail à temps complet: elle permet toutefois au salarié d’obtenir réparation du préjudice ayant résulté pour lui du fait qu’il ait été privé, sans en avoir de compensation, de la possibilité de travailler.
Une clause suspendue en cas de création d’entreprise
Enfin, on aura à l’esprit qu’aux termes de l’article L. 1222-5 du code du travail, l’employeur ne peut opposer aucune clause d’exclusivité pendant une durée d’un an au salarié – hors VRP – qui crée ou reprend une entreprise, même en présence de stipulation contractuelle ou conventionnelle contraire. La clause est alors inopposable mais elle redevient applicable au terme de la période**.
Le salarié tenu par une telle clause doit, s’il souhaite rester dans les liens du contrat de travail au terme de la période, renoncer à son activité de créateur ou de repreneur d’entreprise. A défaut, il s’expose à un licenciement pour faute grave. L’article vise en effet à favoriser le démarrage de l’activité indépendante, pas à permettre son exercice durable en parallèle avec l’activité salariée. Ce dispositif permet donc une transition temporaire vers une activité indépendante.
Avocate associée SOCIAL PARTHEMA
* voir article : « Les nouvelles manières de travailler : on va slasher à la campagne« . H. PICOT.