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Pandémie Coronavirus

COMBINAISON DE L’ACTIVITE PARTIELLE ET DE BENEVOLAT DES SALARIES POUR PARTICIPER A L’EFFORT NATIONAL DANS LE CADRE DE LA CRISE DU COVID 19 : ATTENTION AU LIEN DE SUBORDINATION (le 09/04/20).

Le Ministère du Travail a, une fois de plus, mis à jour son « question / réponse » les 8 et 9 avril. Parmi les actualisations, il est envisagé la possibilité pour les entreprises et leurs salariés de participer à l’effort national de production pour répondre aux besoins de la Nation en biens ou en services nécessaires (masques, blouses, gants, gel, transport ou hébergement du personnel soignant, etc.). Plus spécifiquement, cela vise un phénomène qui se développe depuis le début de la crise du COVID 19 mais qui s’articule difficilement avec le droit du travail : le bénévolat de salariés en chômage partiel.

Effectivement, depuis plusieurs semaines, la presse et les réseaux sociaux se font le relais de nombreuses initiatives citoyennes individuelles et/ou collectives et notamment d’entreprises qui ont bouleversé leur production pour adapter celle-ci au besoin vital du moment : la fabrication de masques et de surblouses, des impressions 3D de visières, la production de protection en verre et en plexi pour les caisses, etc. Certaines vont jusqu’à offrir gratuitement ce qu’elles ont produit et des salariés s’engagent également en proposant d’agir bénévolement. Cela ne se limite pas à l’industrie, des salariés des secteurs d’aide à domicile proposent sur leur temps libre de téléphoner à des personnes vulnérables, isolées, pour prendre de leurs nouvelles, maintenir le lien etc.

Bénévolat et contrat de travail sont en principe antinomiques.

Dans ces circonstances particulières, le « questions/réponses » du Ministère du travail indique que des salariés des entreprises engagées dans une telle démarche citoyenne et solidaire, peuvent participer à titre bénévole et ce, alors même qu’ils sont placés en chômage partiel, à condition que :

  • l’initiative parte d’un engagement volontaire ou spontané des salariés de travailler à titre bénévole ;
  • il s’agisse d’une production temporaire distincte de la production habituelle de l’entreprise ;
  • le caractère lucratif soit écarté si l’entreprise offre ladite production et n’en retire aucun bénéfice ;
  • la démarche s’inscrive dans un esprit de citoyenneté solidaire pour pallier le manque réel des biens ou services concernés.

Pour limiter les risques de litige (sic), le Ministère du Travail conseille aux entreprises de faire remplir aux salariés une attestation faisant état de leur adhésion à ce projet en tant que bénévole :  » Afin de limiter un risque éventuel de requalification, il est préférable que les bénévoles remplissent une attestation faisant état de leur adhésion, du fait que leur intervention ne s’inscrit pas le cadre d’une subordination ni de la protection du cadre du travail ».

Bien évidemment, les critères listés ci-dessus doivent être entendus comme étant cumulatifs, toutes ces conditions devant être strictement réunies et la plus importante d’entre elle : l’absence de lien de subordination.

Des risques qui demeurent élevés malgré cette tentative d’encadrement gouvernemental

Au-delà de la formalisation de ces attestations – indispensables pour bien acter du volontariat de chacun et de sa connaissance en amont de tous les aspects de ce bénévolat, à commencer par l’absence de rémunération bien sûr – il conviendra, effectivement, de bien s’assurer que, dans les faits, la réalisation de ces prestations intervient en dehors de tout lien de subordination.

Il sera rappelé qu’en l’absence de définition légale, la jurisprudence considère qu’il y a contrat de travail quand une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération.
Cette définition fait apparaître 3 éléments :
–  la prestation de travail, qui peut avoir pour objet les tâches les plus diverses (travaux manuels, intellectuels, artistiques), dans tous les secteurs professionnels ;
–  la rémunération, contrepartie de la prestation de travail ;
–  la subordination juridique, critère décisif pour lequel la jurisprudence donne une définition commune au droit du travail et de la sécurité sociale, à savoir : le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

Le bénévolat se définit quant à lui par la situation dans laquelle une personne apporte temps et compétences à titre gratuit pour une personne ou un organisme.

Il se distingue donc du salariat essentiellement par les critères suivants :

  • le bénévole ne perçoit pas de rémunération. Il peut être, le cas échéant, dédommagé des frais induits par son activité (déplacement, hébergement, achat de matériel…) ;
  • le bénévole n’est soumis à aucun lien de subordination juridique. Sa participation est volontaire : il est toujours libre d’y mettre un terme sans procédure, ni dédommagement et il ne reçoit en principe pas de directive et n’est pas contrôlé ni « sanctionnable » dans l’exécution de ses actions.
  • Il est, en revanche, tenu de respecter le cadre qui lui est imparti (le plus souvent les statuts de l’association, un règlement intérieur ou une charte de bénévolat) ainsi que les normes de sécurité dans son domaine d’activité.
    Guide du bénévolat 2018-2019 : https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/guide_du_benevolat.pdf

Il n’y a donc pas contrat de travail lorsqu’une personne rend occasionnellement et sur son initiative personnelle (en dehors donc de toute instruction et a fortiori de toute obligation) quelques menus services à une autre.

Le contrat de travail impliquant un pouvoir de direction, de surveillance, d’instruction et de commandement de l’employeur à l’égard du salarié, cela n’est guère compatible, en principe, avec le fait d’intervenir pour ce même employeur dans un cadre purement bénévole, surtout s’il s’agit de faire les mêmes tâches (mais, on l’aura compris, pas les mêmes produits).

Faut-il rappeler que ce « questions/réponses » n’a pas de valeur légale et qu’il ne lie pas le Juge prud’homal ni l’urssaf ?

Et les Travaillistes, forcément, de douter … : le consentement à une telle action bénévole peut-il être pleinement libre lorsqu’il s’inscrit dans une relation de subordination entre un employeur et un salarié ?

Un cap donné par le Gouvernement, une attestation à faire signer, une action responsable et solidaire, des circonstances exceptionnelles… autant d’éléments qui ne lient toutefois pas le Juge.

Le contexte est inédit et ces initiatives forcent le respect.

Pour autant, la prudence s’impose car ce mélange des genres peut entrainer une requalification en contrat de travail : en effet, le fait d’effectuer une prestation de travail de façon gratuite ne saurait, en cas de litige ou de difficulté, empêcher le juge de qualifier la nature exacte des relations juridiques unissant la personne morale et la personne qui effectue cette prestation.

Après analyse des faits, le juge peut opérer une requalification du bénévolat en travail salarié, dès lors que cette personne se trouve dans une situation de subordination juridique (respect des horaires, des directives, soumission à des contrôles), qui est le critère décisif du contrat de travail. Un engagement écrit de bénévolat de la part de cette personne, attestant qu’elle ne perçoit aucune rémunération, ne suffit donc pas à écarter tout risque de requalification (Rép. Boyer : Sén. 3-4-1997 p. 1066 n° 18075).

Ce qui vaut pour une association, à but non lucratif, vaut a fortiori pour une société commerciale, qui plus est, vis à vis de ses propres salariés…

En l’espèce, l’hypothèse envisagée est celle de salariés faisant du bénévolat pendant la suspension de leur contrat de travail auprès de leur employeur habituel* : le contrat de travail existant déjà entre les parties, ce qui est en jeu c’est la possible requalification d’un temps bénévole en temps de travail effectif.

Les risques sont nombreux (rappel de salaire, redressements urssaf, condamnations pour dissimulation d’activité salariée, et pour fraude au dispositif de chômage partiel notamment).

Il serait plus que regrettable que des initiatives citoyennes aussi admirables donnent lieu à de telles sanctions a posteriori (hors hypothèse d’abus de la part d’employeurs peu scrupuleux qui tenteraient de cumuler allocations de chômage partiel et activité économique lucrative déguisée en bénévolat, abus qui, eux, mériteraient d’être sanctionnés).

On ne saurait dès lors trop conseiller aux employeurs qui sont sollicités de formaliser les initiatives citoyennes des collaborateurs pour avoir la preuve qu’il s’agit d’une aide proposée et librement consentie et en dehors de toute subordination. Il est aussi conseillé d’éviter absolument la fixation d’horaires et de contrôles des tâches ainsi réalisées. Cela risque de s’avérer une gageure en matière de fabrication selon un processus industriel nécessairement encadré par des normes qualité… auquel cas, il conviendra d’inscrire- et de décompter- ces actions dans le cadre du temps de travail effectif et de les déclarer comme des heures travaillées et non pas du bénévolat, ni, bien sûr, du chômage partiel.

Cela étant, pour les actions qui rentreraient dans le cadre du bénévolat, il semble, en outre, indispensable de vérifier que:

  • l’entreprise est couverte au niveau des assurances nécessaires pour protéger les bénévoles en cas d’accident ou à défaut de le signaler sans délais à sa compagnie d’assurance pour étendre la couverture;
  • de mettre en œuvre et de s’assurer de l’effectivité des mesures de prévention lors de la réalisation de ses actions, notamment si elles donnent lieu à fabrication dans les locaux et à livraison ensuite au personnel soignant.

site utile : https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/coronavirus-questions-reponses-pour-les-entreprises-et-les-salaries

extrait du Q/R du Ministère du Travail mis à jour le 08/04/20

Cette position du Ministère du travail est à mettre en perspective du Communiqué de Presse du 9 avril de Messieurs Bruno Le Maire et Gérald Darmanin qui ont annoncé la déductibilité de la TVA pour les entreprises fabriquant ou important du matériel sanitaire et qui en font dons : https://www.economie.gouv.fr/les-entreprises-fabricant-important-materiel-sanitaire-dons-pourront-deduire-tva

Jasmine LE DORTZ-PESNEAU, associée, Pôle Social PARTHEMA.

*nous comprenons que le « questions/réponses » ne vise pas explicitement le cas de salariés faisant du bénévolat auprès de tiers, personnes morales, associations ou entreprises, pendant une période de suspension de leur contrat de travail en raison du chômage partiel décidé par leur employeur. Rien ne s’y oppose, ces salariés ont le droit de cumuler un autre emploi avec une période de chômage partiel et a fortiori d’avoir une activité bénévole pour un tiers. Les conditions du bénévolat devront être strictement respectées, cette vigilance étant encore plus grande si le bénéficiaire en est une société commerciale autre que l’employeur habituel. Dans un tel cas, en effet, le risque est la requalification en contrat de travail avec une possible condamnation pour dissimulation d’emploi salarié.